
L'instinct maternel, un mythe ?
L’instinct maternel : un mythe déconstruit
L’idée d’un instinct maternel naturel, inné et universel est largement ancrée dans les représentations sociales. Cette notion, souvent évoquée pour souligner le lien entre une mère et son enfant dès la naissance, est cependant remise en question par de nombreux chercheurs et penseurs contemporains. Loin d’être une vérité biologique indiscutable, l’instinct maternel s’avère être une construction sociale aux implications profondes, tant pour les femmes que pour la société dans son ensemble.
Définir l’instinct maternel
L’instinct maternel est souvent défini comme une tendance biologique innée chez les femmes à aimer, protéger et s’occuper spontanément de leurs enfants. Il est considéré comme une disposition naturelle à la maternité, censée se manifester dès la naissance de l’enfant, voire pendant la grossesse. Cette idée repose sur l’hypothèse que la maternité serait une vocation féminine, inscrite dans la nature biologique des femmes.
Cependant, dès que l’on interroge les fondements scientifiques et culturels de cette notion, les choses se complexifient. L’instinct maternel n’est pas une catégorie clairement définie dans les sciences du comportement ou de la biologie. Il ne s’agit pas d’un comportement automatique, comparable à celui que l’on observe chez certaines espèces animales. Chez les êtres humains, les comportements parentaux sont largement influencés par des facteurs sociaux, psychologiques, culturels et historiques.
L’absence de consensus scientifique
Les recherches en psychologie, en sociologie, en anthropologie et en neurobiologie tendent à relativiser l’existence d’un « instinct maternel » au sens strict. Si certaines femmes peuvent ressentir un attachement immédiat à leur enfant, d’autres ne vivent pas ce lien de manière automatique. Des études montrent que l’attachement maternel se construit souvent dans le temps, en interaction avec l’enfant, l’environnement et le contexte social.
La neurobiologie montre que des transformations hormonales (notamment une augmentation de l’ocytocine, l’« hormone de l’attachement ») peuvent favoriser certains comportements de soin après l’accouchement. Mais ces changements ne sont ni exclusifs aux femmes, ni systématiquement corrélés à un comportement dit « instinctif ». Par ailleurs, des hommes, des parents adoptifs, ou des personnes transgenres peuvent également développer des comportements parentaux très proches voire similaire à une mère biologique.
Les anthropologues soulignent également que la parentalité est façonnée par la culture. Dans certaines sociétés, l’éducation des enfants est collective, assurée par le groupe élargi plutôt que par une figure maternelle unique. Ces observations remettent en question l’universalité supposée de l’instinct maternel et mettent en lumière sa dimension construite.
Une construction historique et culturelle
L’idée de l’instinct maternel tel qu’on l’entend aujourd’hui est relativement récente dans l’histoire occidentale. Avant le XVIIIe siècle, la maternité n’était pas nécessairement perçue comme un accomplissement central de la féminité. Dans de nombreuses sociétés européennes, les femmes nobles confiaient souvent leurs enfants à des nourrices, et l’amour maternel n’était pas considéré comme un devoir moral ou une évidence affective.
À partir des Lumières et surtout au XIXe siècle, dans un contexte de montée de la bourgeoisie, de valorisation de la cellule familiale et de contrôle accru des rôles sociaux, la maternité devient un impératif féminin. Des discours médicaux, religieux et politiques contribuent alors à naturaliser le rôle maternel. L’amour maternel est présenté comme l’essence même de la femme, et cette idée se diffuse dans les institutions (école, médecine, justice), les discours scientifiques et la littérature.
Ce glissement s’accentue au XXe siècle, notamment dans les périodes de crise, comme après les guerres mondiales, où les sociétés occidentales cherchent à réaffirmer les rôles traditionnels. La femme est alors ramenée à la sphère domestique, et le mythe de l’instinct maternel sert à justifier son « rôle naturel » de mère au foyer.
Les conséquences sociales du mythe
La croyance en un instinct maternel inné a des effets concrets sur les attentes sociales à l’égard des femmes. Elle crée une norme selon laquelle toutes les femmes devraient désirer être mères, aimer spontanément leur enfant et savoir instinctivement comment en prendre soin. Cette norme invisibilise la diversité des expériences maternelles, culpabilise celles qui ne ressentent pas cet attachement immédiat, et stigmatise celles qui ne souhaitent pas avoir d’enfants.
Cette pression est renforcée par des représentations idéalisées de la mère dans les médias et la publicité, qui valorisent une figure maternelle douce, dévouée, patiente et sacrificielle. Les femmes qui peinent à s’adapter à ce modèle, par exemple en cas de dépression post-partum, peuvent se sentir défaillantes ou anormales, alors même que ces difficultés sont courantes et compréhensibles.
D’un point de vue professionnel, cette conception essentialiste de la maternité contribue à freiner l’égalité entre les sexes. Elle alimente l’idée que les femmes sont moins disponibles ou moins impliquées dans leur travail, qu’elles doivent nécessairement interrompre leur carrière pour élever leurs enfants. Elle justifie aussi une répartition inégalitaire des tâches domestiques et parentales, au nom d’une compétence supposée « naturelle » des femmes.
Une parentalité partagée : vers un autre modèle
De nombreux chercheurs et mouvements sociaux plaident aujourd’hui pour une redéfinition des rôles parentaux, fondée non sur des instincts biologiques, mais sur l’engagement, la volonté et la construction relationnelle. Il ne s’agit pas de nier l’importance du lien mère-enfant, mais de le penser comme une réalité humaine, complexe et évolutive, qui dépend de nombreux facteurs au-delà de la seule biologie.
Des études montrent que les pères, lorsqu’ils sont impliqués dès la naissance, peuvent développer un attachement aussi fort que celui des mères. Des politiques favorisant le congé paternité ou parental partagé contribuent à déconstruire l’idée que la maternité est une évidence et que la paternité est secondaire.
Le mouvement féministe a également joué un rôle crucial dans la critique de l’instinct maternel. Il ne s’agit pas de dévaloriser la maternité, mais de reconnaître que la maternité n’est pas une fatalité ou une essence. Les femmes peuvent choisir d’être mères ou non, d’aimer ou non cet état, sans que cela remette en cause leur valeur ou leur humanité.
L'accompagnement d'un enfant est un travail d'équipe de la part des parents.
Conclusion : une vision plus réaliste de la maternité
L’idée d’un instinct maternel universel et biologique ne résiste pas à l’examen des faits. Si l’attachement entre une mère et son enfant peut être puissant, il n’est ni automatique, ni inné, ni exclusif aux femmes. La parentalité est une expérience profondément humaine, façonnée par des dynamiques sociales, psychologiques et culturelles.
Remettre en question le mythe de l’instinct maternel ne signifie pas rejeter la maternité, mais au contraire l’humaniser. C’est reconnaître que l’amour maternel n’est pas une obligation, mais un lien qui se construit, se cultive, se vit différemment selon les contextes et les individus. Cette approche permet d’accueillir la diversité des vécus maternels sans jugement, et d’ouvrir la voie à une parentalité plus partagée, plus libre et plus juste.
Les mamans peuvent se sentir stressées avec cette fausse idée d'instinct maternel. Une souffrance psychique peut alors apparaitre qui faut parfois accompagner pour être dans la prévention du burnout parental ou de la dépression du post-partum. Un accompagnement par une thérapeute familiale est parfois indispensable pour la bien-être familiale.